Nouvelles syndicales et professionnelles

Concilier lignes directrices et personnalisation des soins

Emmanuèle Garnier  |  2019-04-01

C’était en 1995. La Dre France Légaré, alors jeune médecin de famille, découvre un concept en pleine émergence : la prise de décision partagée. Une révélation. Elle voit tout à coup la manière de concilier lignes directrices et individualisation des soins.

Dre Légaré - vo lignes dir

Pratiquant depuis seulement cinq ans, elle avait à cœur d’offrir des services centrés sur le patient, mais était formée pour appliquer les recommandations officielles. Des règles qui s’appliquent à des populations. Ce sont des experts de l’Université d’Ottawa dont elle a croisé le chemin qui lui ont montré tout le potentiel de la prise de décision partagée et des outils d’aide à la décision.

« Quand je revenais en clinique, ces no­tions m’aidaient à personnaliser les choix que mes patients avaient à faire au sujet de leur santé. Je pouvais présenter les options concernant par exemple l’hormonothérapie de remplacement à deux femmes ménopausées qui pouvaient prendre des décisions opposées. Chacune allait faire un choix de qualité, parce qu’il reposait sur un processus rigoureux », explique l’omnipraticienne, maintenant titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la décision partagée et l’application des connaissances, à l’Université Laval.

Quand la Dre Légaré emploie la prise de décision partagée, elle commence par indiquer au patient que plusieurs choix s’offrent à lui, dont celui de s’abstenir. « Après, je présente les données probantes qui montrent les avantages et les risques associés à chaque choix et j’explique la probabilité qu’ils se produisent. » La médecin aide ensuite le patient à évaluer ce qui était le plus important pour lui. « Par exemple, on peut voir avec une patiente ménopausée si elle veut augmenter ses chances de réduire ses bouffées de chaleur et de mieux dormir à l’aide de l’hormonothérapie ou si elle trouve plus important d’éviter à tout prix un risque faible de caillot. »

Dès 1995, la Dre Légaré et sa collègue, la Dre Sylvie Dodin, gynécologue, ont traduit en français le premier outil d’aide à la décision sur l’hormonothérapie de remplacement. À cette époque, les guides de pratique recommandaient largement ce traitement aux femmes ménopausées. C’était avant 2002. Avant la publication des études de la Women’s Health Initiative. « Déjà, à cette époque, nous avions compris qu’il y avait une autre façon d’aider les femmes à faire un choix au sujet de la prise d’hormones », explique l’omnipraticienne, titulaire d’un doctorat.

L’influence de la prise de décision partagée

Dans le cadre d’un processus de prise de décision partagée, quelle est l’influ­ence des outils d’aide à la décision sur le choix des patients ? En 2017, une revue systématique Cochrane, à laquelle la Dre Légaré a participé, s’est penchée sur la question. Elle recensait 105 études comprenant plus de 30 000 patients.

Résultat : les patients qui utilisent un outil d’aide à la décision choisissent en général davantage des solutions moins effractives quand on leur propose une importante intervention chirurgicale non urgente. Il y a cependant une exception : les femmes porteuses du gène du cancer du sein qui, elles, optent davantage pour la mastectomie prophylactique1. Les aides à la décision diminuent également le taux d’hommes qui choisissent le dépistage de l’antigène prostatique spécifique et augmentent le nombre de personnes qui décident de commencer un traitement du diabète. « Pour les autres choix concernant les tests et les dépistages, il n’y avait généralement pas de différences entre le recours à une aide à la décision et les soins habituels », indique la revue.

Selon la Dre Légaré, les outils d’aide à la décision favorisent les choix optimaux dans le dépistage et le traitement. « Ils diminuent la surutilisation d’options qui n’ont pas toujours une valeur ajoutée et augmentent le recours à celles qui en ont une. »

En outre, selon les auteurs de la revue systématique, les pa­tients qui bénéficient d’aides à la décision ont le sentiment d’avoir plus de connaissances et d’être mieux informés, ont une vision plus claire de leurs valeurs, jouent probablement un rôle plus actif dans la prise de décision et ont une per­cep­tion plus juste des risques.//

1. Stacey D, Légaré F, Lewis K et coll. Decision aids for people facing health treatment or screening decisions. Cochrane Database Syst Rev 2017 ; 12 (4) : CD001431.